Les caprices du vent : la face cachée de la bête : suite de la suite

Publié le par lescapricesduvent

Ce n’est pas vraiment ce que j’attendais. Je suis un peu déçue. Je voyais plus d’enthousiasme, plus de fougue. Je n’ai pas dû mettre la bonne culotte, ou les virus supérieurs en nombre sont plus forts que moi. Ils empochent la victoire. Pourtant, c’était ma soirée, pas la leur. Ce n’est pas juste.

J’entends rigoler la vieille sur la commode de la chambre. Demain je lui règle son compte à celle-là, pour me venger des virus.

Je hasarde d’aborder quelques questions importantes pour lui changer les idées mais je n’ai peut-être pas la tenue adéquate pour discuter de ce genre de problèmes. Ca ne fait pas sérieux.

- Tu sais que Claudia couche avec un noir ?

 

Vlan ! ça, c’est envoyé !

 

- Je ne sais pas. Les virus sont imprévisibles, ma chérie. Personne ne sait où ils ont pu aller.

Je ne vois pas le rapport avec Claudia et son Sénégalais mais je continue :

- Marie-Neige a laissé tomber son boulot. Elle est dans un orchestre de RAP et elle chante des chansons subversives. Ils veulent faire un disque. Je m’inquiète un peu.

- Ne t’en fais pas. L’Elysée a été averti. Ils vont tout mettre en œuvre pour les retrouver. L’armée est en état d’alerte.

J’ignorais que c’était si terrible de faire partie d’un orchestre de RAP. Quand même, déranger l’Elysée, c’est un peu exagéré. Et puis, elle n’est pas perdue, je sais où elle est, moi.

- Pas la peine de déranger l’armée. Je sais où ils sont.

- Toi ? Tu sais où ils sont ?

- Mais oui, dans un vieil hangar désaffecté. Ils ne font de mal à personne.

- Pas de mal à personne ? Tu es folle ? Ils sont dangereux, contagieux ! il faut les détruire !

 

Les détruire ? Eh, oh ! il est fou ce mec ! Je savais bien que ses expériences allaient lui monter à la tête ! Détruire sa fille ! comme ses vulgaires virus ! Qu’il touche à un seul de ses cheveux je le refroidis, lui, l’Elysée et l’armé entière ! Non, mais ? Père indigne !

 

- Dis-moi où ils sont.

Et ta sœur ? Tu ne crois pas que je vais vendre ma fille ? Père dégénéré !

 

Je ne suis peut-être pas très fufutte mais je ne suis pas bête.

Je lui indique le Zénith. Il se rue sur le téléphone pour appeler la gendarmerie.

- Tu sais qu’Amélie est homosexuelle ?

- Ecoute, Francette, l’heure est grave. Ne me dérange pas avec des ennuis domestiques. Tu es assez grande pour les régler toute seule. Je te fais confiance.

 

Merci, mec. Tu m’aides beaucoup...

 

Il me fait confiance ! C’est nouveau, ça ! Je me demande s’il ne boit pas en cachette au travail. Ça expliquerait qu’il casse les éprouvettes et laisse s’échapper les virus. J’espère qu’ils ont averti le gouvernement, sinon il va avoir une autre histoire de sang contaminé sur les bras. Je ne vous raconte pas la tête du ministre de la Santé Publique !

 

Monsieur le ministre, des virus se baladent dans la ville et moi je monopolise l’armée pour rechercher ma fille et sa bande de rappeurs.

 

Il est beau, le savant, tiens ! Je suis un peu moins en admiration devant son génie. Il est tombé de son piédestal en l’espace de quelques minutes. Je le croyais plus consciencieux.

Il saisit son manteau et me plante là, avec le veau en sauce à peine entamé, la bouteille de vin rosé, et ma petite culotte en dentelle.

Il part dénicher les coupables. Au Zénith. Ça tombe bien, ce soir ils passent l’opéra « Notre Dame de Paris ». Ils en ont pour la soirée à fouiller les gradins.

Moi je me sers du veau avec des patates sautées, j’en reprends deux ou trois fois, et je bois le vin. A la moitié de la bouteille, je me mets à rire sans savoir pourquoi. C’est la tête de la vioque quand j’ai découpé la nappe qui me rend hilare.

Je vais me coucher avec ma petite culotte et mon tablier. Je m’endors comme une masse.

Vers trois heures du matin, je l’entends rentrer. Il me dit :

- On a fouillé tout le monde au Zénith. On ne les a pas trouvés.

 

Il a fouillé tout le monde ? Qu’est-ce qu’il croyait cet’ andouille ! Que sa fille se déguisait en Esméralda pour donner le change ? Il est pas bien, lui ! Je me demande s’il ne devrait pas prendre des vitamines.

 

Je replonge dans les bras de Morphée, parce que le vin rosé, moi, ça me fait somnifère.

 

***

 

J’émerge d’un profond sommeil à dix heures du matin.

Louis est déjà parti. Il m’a laissé un mot :

- Ma chérie, je suis parti de bonne heure. Je dois aller à la préfecture. Bonne journée.

J’ai la bouche un peu pâteuse. Bonne journée ! Tu parles ! Si j’ai encore la visite de la vieille sorcière, elle va être belle, la journée !

Je commence par déjeuner copieusement. Je ne sais pas qui a fini le ragoût de veau hier, ni la bouteille de rosé, mais quand même, on aurait pu m’en laisser pour midi. J’ai besoin de prendre des forces, avec la journée qui m’attend !

Je descends à la buanderie. J’ai trois tonnes de lessive à faire et la machine à laver qui s’est transformée en avion ! Heureusement que Louis était trop occupé hier soir pour se rendre compte que quelque chose clochait dans cette maison !

La mare s’est agrandie et à présent il y pousse des nénuphars et des ajoncs. Les têtards se sont reproduits comme par enchantement. Ce doit être la génération spontanée. Quelques uns sont déjà grenouilles et coassent à qui mieux mieux. J’en vois une qui me paraît plus maligne que les autres.

 

A quoi je vois cela ? A ses yeux, pardi !

 

Elle a un regard intelligent. Plus intelligent que certains humains qui se prennent pour des phénix. Et si c’était un prince charmant ?

 

Bon, d’accord, c’est que dans les contes de fées ces bêtises-là. Mais si c’était vrai, hein ? Que je trucide un prince ? Incident diplomatique et tout le tintouin. Comme si ce n’était pas suffisant d’avoir un mari qui perd ses virus comme on perd ses clefs !

 

Donc je ramasse la grenouille, prince ou pas. D’ailleurs c’est peut-être une princesse et le problème est le même. Je la regarde. Elle a des yeux gentils. Pas comme ceux de la vieille... Elle a l’air de m’aimer. J’ai au moins trouvé une copine.

La machine à laver est toujours au même endroit et elle a toujours des ailes. Je la bourre de linge. Tant pis si elle explose. J’en serai débarrassée. J’en ai marre ! J’en ai marre ! Si je trouve un truc pour rigoler, je suis preneuse. On s’emmerde seul dans cette maison.

Pour une épouse de particule, je la fiche mal. Je devrais avoir une activité charismatique. Quelque chose comme dame patronnesse, la vieille me pardonnerait d’être moi. Mais je ne crois pas en Dieu et je n’ai pas envie de raconter des niaiseries à des mômes qui n’ont rien demandé à personne. Ils risqueraient de sortir le poing en l’air en chantant l’Internationale... Je suis la honte de la famille, comme ma rappeuse de fille. Je n’aime pas le ménage, je n’aime pas papoter avec des mères au foyer qui s’ennuient autant que moi. Je n’ai envie de rien. Si au moins j’avais élevé mes filles comme il faut !

 

Attendez ! mais si j’ai envie de quelque chose ! Eh, oh ! Qu’est-ce que vous croyez ? Je ne suis pas tout à fait morte. J’ai envie de retourner sur le trottoir chanter mes poèmes avec les deux dingues qui partageaient mon lit il y a vingt ans. Voilà. C’est avoué. Si la vieille entend ça !

T’entends ça, vieille folle ? Puisque nous en sommes aux confidences, toutes les deux, je vais ajouter une chose : j’ai envie de le tromper ton honnête petit fils avec son QI au dessus de la moyenne ! J’ai envie de baiser avec un plouc, un cave, même le genre camionneur. Ca te la coupe, hein ?

 

Je ne me reconnais plus. Je dois être possédée par un démon pervers pour tenir des propos pareils ! Francette, ma fille, calme-toi.

Je me précipite dans le salon. Il faut que je lui parle à la mamé. J’en ai trop sur le cœur. Je me campe devant la glace et l’interpelle :

- Eh, la mamé, montre-toi si tu es une femme.

Cela ne rate pas. Elle est bien là, avec son col en dentelle de Calais et sa poitrine opulente qui lui remonte jusqu’au menton. Elle a l’air si sévère que j’ai un moment de regret. Elle va encore être vache et me démolir. Je soutiens son regard et lui dis sans réfléchir :

- T’en as pas marre de faire semblant d’être méchante ? Tu n’as pas envie de te reposer ? Tu n’as pas envie qu’on t’appelle un peu mamie au lieu de « grand-maman » ? Tu n’en as pas eu une de mamie, toi ? Une qui faisait de la confiture et des beignets ?

Je m’attends à de sérieuses remontrances, à me faire tancer vertement. C’est ce qu’on dit dans le beau monde pour préciser qu’on va se faire engueuler. Et bien non. Je vous donne en mille ce qu’elle fait. Elle éclate en sanglots.

 

 

 Oui, les copines, je ne vous mens pas.

 

Je ne savais pas que ça savait chialer les rombières collets montés du dix neuvième siècle !

Pour le coup, j’ai un peu de pitié d’elle. Je voudrais lui parler mais elle disparaît sans rien ajouter. Je me sens coupable. Je n’ai plus envie de me promener au bord de la mare de la buanderie de peur d’y rencontrer d’autres ombres comme moi qui traînent leur cafard le long des golfes clairs. Je sais que nous sommes des milliers à errer entre la table du salon, les chambres à coucher et le biberon des enfants. Il faudrait faire une amicale... Je préfère me réfugier dans la chambre de Claudia. Elle est au soleil. Je me couche sur son lit et me souviens quand elle était bébé. Elle a grandi trop vite celle-ci aussi.

Je pose la grenouille sur le couvre-lit à fleurs. Elle a l’air d’aimer le confort. Machinalement, j’ouvre le tiroir. D’habitude je ne commets pas ce genre d’indiscrétion. Mais je ne sais pas ce qui me prend. Peut-être une intuition ? Je trouve un paquet d’herbes. Sûrement une plante qui vient d’Afrique. J’ai envie d’un thé. Claudia ne m’en voudra pas de prélever un peu de sa précieuse tisane.

Debout les damnés de la terre !

Je réintègre ma cuisine. Il est quatorze heures. Je n’ai pas encore commencé à balayer. Ménage, cuisine, poussière. Tu es né poussière et tu retourneras en poussière. Il vaut mieux laisser la poussière tranquille, on ne sait jamais qui cela peut être. Imaginez que je balaye un ancêtre, hein ? De quoi aurais-je l’air ? Une poussière peut en cacher une autre.

Il a un drôle de goût son thé. Dans le coin du plafond, une araignée me sourit. Mince ! J’ai oublié la grenouille dans la chambre !

J’ai ouvert un paquet de petits biscuits bretons. Ils sont parfaits avec le thé. Un paquet, puis deux paquets. Génial, le thé ! Un goût étrange, tout de même, mais bon.

J’essaye d’attraper la petite cuillère mais elle saute de l’autre côté de la table. Si les couverts s’en mêlent ! J’ai eu ma dose hier avec la nappe, aujourd’hui je n’ai pas envie d’affronter une armée de petites cuillères...

Aux armes citoyens ! La patrie est en danger ! 

 

 

 

Début et fin sur "les caprices du vent"

Publié dans harcèlement

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